Racaille. Vermine. Piranhas. Voyous. Nos surnoms sont aussi variés que notre misère est universelle. Pour défendre le peu que nous possédons, nous avons appris à nous cacher, à fuir et surtout à nous battre.  Dans cette ville infernale criblée de façades concrètes et figurées, tous les coups sont permis et nous ne connaissons pas la pitié envers ceux qui n’appartiennent pas à notre clique. Les citoyens nous tolèrent parce qu’ils ont mauvaise conscience mais au fond, ils se fichent bien de notre misère. Quant aux grands organismes commerciaux qui dirigent le monde, nous passons sous leur radar du fait de notre insignifiance.  Orphelins de la rue, nous ne sommes rien, moins que rien - et c’est mieux comme ça.

Je ne dois pas avoir plus de six ou sept ans quand je découvre que le ciel m’a pourvue d’un cadeau. Quand je chante aux coins des rues, on ralentit pour m’écouter. Au son de ma voix, le regard dur des passants se métamorphose. Bientôt, ils se détournent de leur parcours routinier pour venir m’entendre, ils m’ouvrent leur cœur et surtout leur porte-monnaie. Leur nombre se multiplie, leur générosité grandit et le jour vient où mes sœurs n’ont plus besoin de vendre leur corps à des inconnus pour ne pas mourir de faim.

Nous prenons de l’assurance, cessons de longer les murs, déambulons parmi les citadins en pleine rue sans nous presser. En prennent-ils ombrage? Et les grandes sociétés? Nous comprenons que oui de la pire des façons le jour où celles-ci se décident à frapper. Trop longtemps, nous avons déparé leurs avenues et leur image. Leurs assassins nous débusquent au fond de nos abris. La surprise est totale. On nous pourchasse jusqu’au bout de nos ruelles, sur les toits des échoppes, jusqu’au fond des égouts. À peine ont-ils touché le sol, les corps sont ramassés et emportés. Les rues sont rouges de notre sang, et pas un citoyen en vue pour protester devant ce massacre. Quand, affolée, je quitte ma cachette pour tenter de rejoindre les autres - nous avons toujours été plus forts ensemble – je ne les trouve nulle part.

Les heures passent. La sauvagerie du crime auquel je viens d’assister embrouille mon esprit. Éventuellement, un homme au costume immaculé et à la prestance surnaturelle me découvre et me tend la main. Je la prends sans rien dire. Je n’ai plus besoin d’avoir peur, susurre-t-il. La puissance  de son organisation est vaste. Dorénavant, je chanterai pour les petits comme pour les grands de ce monde, et jamais plus je ne manquerai de rien ni n’aurai à me battre. Ma terreur et ma naïveté lui assurent la victoire. C’est la dernière fois que mes pieds foulent ces rues.

Il met un microphone entre mes mains et laisse à d’autres le soin de parfaire mes dons musicaux. En sa présence, je dois me taire.

Les années qui suivent sont irréelles.  Ma voix hypnotise les foules, séduit les diplomates et devient l’instrument de son triomphe. Le peuple a trouvé une princesse à aduler, et l’influence de mon bienfaiteur ne connaît plus de limites. Qu’ils jettent à ses pieds leur fortune et leur âme! Que m’importe? Pas un seul d’entre eux ne s’est opposé à l’extermination des miens.

Il commet une seule erreur. Est-ce l’ivresse de l’alcool qui coule dans son sang, ou l’étrange pouvoir de ma voix qu’il a finalement eu la faiblesse de vouloir entendre? Convaincu de mon absolue dévotion envers lui – il n’a pas tort - il parle librement. À travers ses propos, je saisis enfin que rien n’est un hasard. Mes compagnons d’infortune vivants, jamais je n’aurais accepté de quitter la rue, et la puissance unificatrice de ma voix n’aurait pu servir sa cause. Il est l’instigateur de ce massacre.

Ma lame glisse silencieusement entre ses côtes. Le flot de sang qui jaillit de sa gorge lui interdit tout appel à l’aide, et pour la deuxième fois de ma vie je suis seule.  Subitement, le monde d’en haut me fait horreur. Ma place est en bas avec les fantômes de mon enfance. J’enjambe la balustrade. Si la chute est vertigineuse, le choc lui ne vient jamais.

Quand mes yeux s’ouvrent, c’est sur un monde qui m’est étranger.

Indécise. Un peu comme une lame aiguisée que son utilisateur manie au gré de ses propres desseins, Lulu n’est pas très adepte à distinguer le bien du mal. Il y a bien longtemps qu’on ne lui a pas témoigné la moindre bienveillance désintéressée ni offert un exemple de comportement positif. Elle a donc tout à apprendre dans ce domaine. Puisque dans le moment plus personne n’est là pour lui dicter sa conduite, elle ira où bon lui semble, agissant en fonction de ses propres intérêts.

Lulu comprend la valeur de sa liberté retrouvée mais, au fond, ne sait trop qu’en faire. À cela s’ajoute, pour sa plus grande horreur, la quasi-perte du don qui faisait d’elle un individu unique et précieux aux yeux des autres – du moins le croit-elle. Par la force des choses, son obsession deviendra donc de retrouver ses capacités et de créer de nouveaux liens pour assurer sa sécurité et son avenir.

La jeune chanteuse est charismatique, créative, passionnée et serait capable de donner tout ce qu’elle a si seulement elle trouvait un motif de le faire. Physiquement, elle a gardé l’agilité et la vitesse de son enfance et n’a jamais cessé de perfectionner son maniement du couteau, un caprice que son protecteur a fini par lui concéder à force d’insistance.

Les lugubres événements dont sa vie a été le théâtre ont fait naître chez elle une certaine crainte de la solitude qu’elle se garde bien d’exposer au grand jour mais qui la laisse vulnérable aux influences bonnes ou mauvaises des individus qui croiseront sa route.

S’ils étaient encore en vie pour en parler, ceux qui en ont bénéficié vous diraient que la loyauté de Lulu porte malheur. Néanmoins, puisque ses dons ont régressé à un niveau quasi-insignifiant suite à sa migration vers le nouveau monde, elle est temporairement à l’abri du genre de convoitise susceptible de ruiner sa vie et celle des autres dont elle a été victime par le passé.

Depuis la funeste soirée où la relation de la jeune femme avec son protecteur a pris fin, sa dévotion n’a pas retrouvé de nouvel objet.

Cette sirène n’est jamais si comblée que lorsqu’elle monte sur scène et chante de toute son âme. La lumière, la chaleur, les acclamations lui donnent le sentiment de vivre, au point que parfois sa propre magie lui monte à la tête.  En plus d’aimer le flamboyant et le spectacle, elle admire l’intelligence, l’assurance et le sens de la stratégie chez ceux qu’elle côtoie. Elle aime aussi bouger et se dépenser physiquement, que ce soit par la danse ou par une bonne baston.

Lulu ne vient pas d’un milieu qui lui a permis de se construire sur des bases saines. L’absence de toute forme de sécurité en bas âge l’amène à chercher le contact rassurant du groupe. Plus tard, ce groupe est remplacé par un unique individu qui devient son centre gravitationnel.  À partir de ce moment, elle n’a plus à se soucier de sa subsistance ni même de faire ses propres choix. Bien au contraire : dès lors qu’elle a quitté le monde de la rue, la demoiselle est soigneusement conditionnée à parfaire ses dons artistiques et relationnels sans jamais être encouragée à la pensée critique.

Laissée face à elle-même au sein d’un monde inconnu, elle perd tous ses repères. Habile comédienne, elle sait cependant masquer son désarroi et tentera d’inspirer de bons sentiments à qui croisera son chemin. C’est davantage un réflexe de survie qu’une stratégie élaborée. Un réflexe plutôt douteux, d’ailleurs, car elle a beaucoup plus de ressource que ce qu’elle s’imagine.

Il faut bien dire que la princesse a perdu l’habitude qu’on lui désobéisse. Entre la richesse et l’influence de son protecteur et ses propres capacités, voilà des années qu’on ne lui a plus rien refusé, même si elle n’est pas particulièrement capricieuse à la base. Cela dit, le serviteur s’en sortirait probablement avec une paire de baffes et une chanson mieux qu’il le mérite.

À l’aide des mots de pouvoir qu’elle sème à travers ses paroles et de la magie qu’elle tisse dans ses chants, Lulu parvient à susciter chez ses auditeurs émotion et sympathie, sans toutefois savoir leur dicter une conduite précise. Diffusées à large échelle, les chansons que son mécène écrit pour elle vont jusqu’à priver les faibles de leur libre arbitre, permettant à ce dernier d’accomplir au grand jour ses sombres desseins politiques avec l’assentiment des foules.

Tel que mentionné plus haut, Lulu est par ailleurs assez physique, ayant eu à se défendre nombre de fois durant son séjour dans la rue. Un couteau à la main, sa vitesse et son adresse la rendent redoutable. Rien de surnaturel de ce côté, par contre.

Avant qu’on me pose la question : je ne compte pas me servir de mes pouvoirs pour tenter de faire agir un joueur contre son gré. Pour moi, ce ne serait pas intéressant du tout. Si je les récupère et qu’ils me servent, ce sera dans un contexte politique ou si on me le demande.