Tous les malheurs de ce monde naissent de nos propres faiblesses.
Tu le laisses derrière toi, à demi-mort, convaincu que quelqu’un viendra l’achever tôt ou tard. Les inspecteurs ont donné l’assaut sur les bâtiments, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne le trouvent... Il a été dépouillé de son pouvoir de guérison, il ne lui reste plus qu’à mourir de lui-même désormais… ou bien d’être achevé. À cette pensée, un triste sourire illumine tes lèvres. Tu as encore le goût de sa chair en bouche, le goût des entrailles de poisson pourri. Ce mec te dégoûte. Tu le hais du plus profond de ton être. Tu as encore la sensation de ses pinces coupant tes extrémités, simplement par plaisir sadique. L’enfoiré y prenait plaisir, simplement pour voir la douleur se peindre sur ton visage, pour entendre tes cris, tes pathétiques supplications… Prenant une grande inspiration, tu tournes brièvement ton visage dans sa direction. Il fait moins le fier désormais, ainsi étendu sur le sol, baignant dans la marre de son sang… Tu ne veux pas devenir comme lui. Tu ne veux pas tuer uniquement pour le plaisir, par vengeance : parce que c’est drôle. Ce n’est pas toi. Toi et ton bourreau n’avez rien en commun, tu n’es pas un monstre comme il a pu l’être… Tu ne le deviendras jamais. Néanmoins, tu lui dois une fière chandelle, n’est-ce pas? Il t’a fait grandir. Il t’a fait comprendre quelque chose d’important, une loi indiscutable de ce monde : il faut parfois se résoudre à faire des sacrifices pour protéger quelque chose de plus précieux.
Détournant le regard de ce corps tombant de décrépitude, tu fais un pas dans le couloir. Tes pieds nus martèlent le béton froid, les menottes qui enserrent tes chevilles et tes poignets tiraillent impitoyablement ta peau… Autour de toi, tu entends distinctement le clapotement de l’eau, le souffle du vent s’engouffrant dans les fissures murales, mais aucun son que tu parviens à lier de près ou de loin au combat qui fait rage à l’extérieur du bâtiment. Rien. Le vide. Tu prends une grande inspiration, tu relèves la tête, humes l’air : tu cherches quelque chose. Une odeur. Une piste, un chemin à suivre pour les retrouver, pour les libérer du joug d’Aogiri. Tu fermes les yeux, sans te méfier. Sans penser une seule seconde que, en les ré-ouvrant, tes pupilles seront aveuglées par la blancheur d’un couloir aux interminables murs. Lorsque tu prends conscience de ta situation, tu restes dubitatif devant le décor qui t’es imposé. Quelques secondes plus tôt, tu foulais de tes pieds le sol d’un bâtiment détruit, en ruine. Désormais, s’étend sur plusieurs mètres un large passage qui te semble éternel. Est-ce un piège? Forcément. À cette idée, ton corps se tend imperceptiblement.
Il n’y a rien d’autres que de multiples portes, de toutes les formes, toutes les couleurs, toutes les grandeurs dans ce couloir… Aucune ne se ressemble, leur seul point commun est leur fermeture. Tu ne tentes même pas d’ouvrir l’une d’elle, craignant d’avantage un piège rudement mené par l’organisation de ghoules qu’autres choses. Tes yeux s’adaptent à cette clarté dont tu as été privé, plus d’une dizaine de jours durant. Tes jambes sont flageolantes maintenant que l’adrénaline est passée, bien que tu restes sur tes gardes, prêt à rebondir à la première agression. Arrivant enfin au bout du couloir, tu perçois enfin un signe de vie. Un homme, dont tu ne distingues pas le visage, se tient là, assit à un bureau. Il remplit visiblement de la paperasse. Il ne lève même pas les yeux vers toi, t’ignorant superbement. Tu ne dis rien, te contenant de le fixer de tes pupilles grisâtres, prêt à te défendre. Tu ne comprends rien à ce qui se passe. Tu n’as jamais vu ce mec. Où es-tu exactement? Qui est-il? Un inspecteur? Tu en doutes. Si tel est le cas, sa réaction se fait attendre… Soudainement, tu le vois signer un papier puis le poser au-dessus d’une pile. Puis une des innombrables portes s’ouvre et tu te sens t’y engouffré contre ta volonté, malgré tes tentatives pour te débattre rageusement, pour ne pas laisser cette force inconnue te tirer dans cet endroit mystérieux sans ton accord.
Puis c’est le vide. Le vide le plus complet… Le néant. Lorsque tu reviens à toi, tu sens ta respiration difficile, lourde. Te redressant brusquement, tu te sens pris de violentes nausées, tout tourne autour de toi. Visiblement mal en point, tu prends quand même quelques secondes pour regarder le décor dans lequel tu te trouves. Rien à voir avec le repère d’Aogiri… Qu’est-ce que représente cette mauvaise blague à la fin? Quelques minutes plus tôt, tu te précipitais aux secours des tiens et désormais tu te tiens sur le sable d’une plage parfaitement naturelle, sur le bord de ce qui te semble être l’océan. Ce n’est pas en plein centre de Tokyo qu’un tel tableau te serait offert. Alors quel est cet endroit insolite? Les rayons du soleil se reflétant sur l’eau t’aveuglent, t’arrachant une grimace embêtée. Te relevant, tu t’attardes un instant supplémentaire pour vérifier ta position. Il n’y a que sable et falaises… Tu ne parviens pas à te situer malgré tous tes efforts. De plus, tu es entièrement seul ici. Personne auprès de qui prendre informations… Mais une chose est clair : peu importe où tu es, tu n’as pas de temps à perdre ici. Pendant que tu prends du bon temps avec le soleil, tes amis risquent d’y laisser leur peau. À cette idée, ton visage se déforme sous l’impatience. Tu restes calme, bien que fortement agacé par les aléas du destin. Combien de temps s’est écroulé depuis que tu as quitté la salle de torture de Yamori? D’ailleurs, qu’est-il advenu de lui? Si cela se trouve, plusieurs heures, voir jour, t’ont été nécessaire pour revenir à toi. Ce couloir blanc, ces portes, cet homme… Était-ce uniquement un rêve? Le fruit de ton délire?
… Où suis-je?
Ta voix est calme, posée. Tu ne te laisses pas envahir par la panique. Tu ne la ressens même pas. Tu sens simplement une grande lassitude t’envahir. Les questions s’empilent les unes aux autres, sans que tu ne parviennes à trouver de réponse à leur fournir. C’est enrageant, n’est-ce pas? Comment va l’Antique? Comment vont tes amis désormais? Seul sur cette plage, il n’y a plus de place que pour toi et tes interminables questionnements. Tu cherches une vérité là où elle refuse d’apparaître à toi. Tu tentes de la faire sortir de son terrier, mais rien n’y fait. Ce qu’il te fait, c’est mettre la main sur quelqu’un possédant les informations qui te manquent… Fronçant les sourcils, tu fais alors un premier pas afin de franchir cette interminable plage avant qu’une nouvelle sensation bien plus sombre, bien plus dangereuse ne t’envahisse brusquement. Tes yeux s’écarquillent brusquement alors que ce nouveau sentiment t’étreint à la gorge. Tu stoppes net ta progression alors que tes yeux se posent sur tes mains tremblantes et que ta bouche s’entre ouvre légèrement pour laisser l’air circuler plus aisément dans tes poumons. Cette sensation de
faiblesse qui envahit tout ton corps, sans crier gare, te donne l’impression de retomber dans cet état de pathétisme abandonner quelques heures plus tôt à peine. Serrant les dents, ton regard s’assombrit. Ce n’est qu’une sensation. Tu ne peux pas être retombé à l’état de mollusque faiblard comme ça… Tu dois les retrouver et les protéger. On ne perd pas sa puissance aussi aisément, c’est ridicule. Si?