Des forêts comme celle-là, tu n’en as jamais vu à Tokyo, capitale japonaise. Autant dire que tu n’as jamais été un garçon de campagne, toujours habitué de vivre au travers la dense population et les bruits incessants. C’est nouveau. C’est troublant. Assis au centre de cette épaisse forêt, tu laisses ton regard parcourir la cime des arbres alors que l’information se fraie tranquillement un chemin jusqu’à ta mémoire. Ce monde t’horripile. Ce n’est pas le tiens et tu n’y as rien à faire… De ce que tu en sais, rien ne l’associe à ce Japon dont tu es natif. Il n’y a rien ici… Élu ou pas, champion ou pas, tu ressens une profonde angoisse à l’idée d’être cloué ici pour le restant de ta pitoyable existence. C’est stressant, n’est-ce pas? Devenir si faible, si démunie de ta puissance alors que enfin tu pouvais cesser d’être ce faiblard qu’il fallait traîner comme une épine au pied… Fermant les yeux, tu prends une grande inspiration, tentant de ne pas t’énerver. Un calme divin se dégage sur ton visage, mais, dans ta tête, dans ton cœur, c’est le bordel. Tu devrais être là-bas, en train de protéger tes amis, mais, à la place, tu es en train de prendre du bon temps dans une forêt comme tu n’en as jamais vu.

C’est déplorable, n’est-ce pas? Laissant tes paupières s’ouvrirent à nouveau, tu fixes sa main puis ton poignet. Tu as été libéré de tes chaines… Heureusement que ton corps guérit -guérissait?- rapidement au moment où tu as été désigné comme victime aux yeux de cet aliéné… Autrement, tu en garderais sans doute plusieurs séquelles physiques. Sentant un sourire triste se fixer sur tes lèvres, tu secoues doucement la tête face à cette affirmation. Au fond, tu n’aurais pas dû hériter de cette capacité de Lize. Tes tourments auraient été bien moins longs et, même en tant qu’œil écarlate, tu n’aurais pas autant attiré l’attention de Jason. Ça aurait été mieux. Résonnent encore tes cris, dans un coin de ton cerveau, tes désespérées supplications. « Tues-moi. »… Au final, c’est pour cette raison qu’il s’est tellement éclaté avec toi. Tu étais prévisible. Faible. Et te voilà retombé au même niveau, dans le même état. Ton évolution fut de courte durée, n’est-ce pas, Ken? Te relevant, tu lèves tes yeux vers le ciel. Tu parcoures chaque parcelle de cet endroit inconnu. Tu cherches à t’en imprégner, dans l’espoir de trouver une solution à tes tourments. Un moyen de retourner à Tokyo. Cette histoire n’est pas la tienne, tu n’as rien à faire ici alors que tes amis risquent bêtement leur vie…

Tu serres les dents et, à l’instant où une fois t’interpelles, tu retournes brusquement la tête, sur la défensive, prêt à attaquer. Néanmoins, tu stoppes rapidement ton geste. Tu ne fais rien. Tes pupilles cendrées fixent sans faiblir cette personne qui vient de t’adresser la parole. Instinctivement, tu humes l’air. Cette odeur est dégoutante… Rien à voir avec la succulente odeur humaine. Visiblement, ton interlocutrice, quelle qu’elle soit, ne partage pas un centime de ton humanité. Elle est aussi monstrueuse que toi malgré les apparences. Tu t’attardes un instant sur ses cheveux blonds, sur ses oreilles en tout point félines… puis sur ses jambes. Est-ce vraiment une fille? Plus rien ne t’étonne. En mettant le pied ici, tu t’es préparé à toutes les éventualités, à toutes les découvertes. Cette… chose… ne fait pas exception. Te redressant, tu te tournes en direction de la créature, prêt à lui faire face. Tu portes toujours les vêtements qu’Aogiri t’avait fait enfiler lorsqu’ils t’avaient fait prisonnier et autant dire que tu ne fais pas fière allure, ainsi accoutré…


Est la seule question que tu poses. La seule raison pour laquelle tes lèvres s’entrouvrent. Ta voix est neutre, sans agressivité, sérieuse et décalque une assurance presque intimidante. Néanmoins, tu es sur la défensive, cela se sent aisément. Ton corps est tendu et tes yeux détaillent du regard cette étrange créature au corps décousu. Quelque chose ne va pas bien avec elle. D’où vient-elle? La perspective qu’elle t’attaque, malgré la gentillesse de sa voix, est bien ancrée dans le fond de ton esprit. Lize aussi, cette journée-là, semblait être quelqu’un de bien n’est-ce pas, mon adorable? Tu sais parfaitement qu’il ne faut pas se fier aux apparences. La dernière fois, cela t’a coûté ton humanité après tout…